"Il y a œuvre d'art, il y a œuvre de peinture, chaque fois que la pensée, chaque fois que l'œil ou l'oreille sont surpris par ce qu'ils voient, entendent ou lisent. 
On peint, on fait œuvre d'art parce qu'on désire cette surprise : au cours du travail langagier que vous faites, quelque chose vous arrive. 
Vous désiriez que ça arrive, mais vous ne saviez pas quoi. C'est pour en savoir quelque chose qu'on peint, qu'on fait œuvre d'art.
Et qu'on fréquente les choses de l'art.
Il se peut que cela vous saute aux yeux devant l'œuvre de très jeunes peintres. 
Pas toujours. Le plus souvent, il faut une longue patience pour que l'artiste y parvienne. D'ailleurs, tantôt ça vient, tantôt ça repart.
Parmi les peintures que j'ai vues de Nora Douady, certaines ont provoqué en moi cet effet de surprise heureuse. Ce sont celles où je peux parler de vertige. 
Le plus souvent ça se passe quant elle représente des cages d'escalier. 
Mais ça peut aussi vous saisir devant le portrait d'un homme allongé sur sa couche dont soudain le doute vous vient de savoir s'il est vivant ou mort.
Dans les images de Nora Douady, c'est affaire de peinture, non pas de mise en scène. Par exemple, les contours du visage et du corps de l'homme semblent par endroits s'effriter dans l'air. Par exemple, l'image est un recroisement incertain de teintes claires ou sombres avant qu'elle ne prenne forme pour vous d'un escalier.
Que demander de plus à une peinture que d'être, avant toutes choses, de la peinture ?"

Marc LE BOT, 1991